Le Hólmgang

Une forme de duel chez les scandinaves

  • Fabrice Guillou, associations Drekar et AMHE du Maine

« En ces temps, la loi admettait que quiconque se croyait lésé dans ses intérêts par un autre, le défiât en duel. » (saga de Gunnlaugr langue de serpent).

Le duel chez les scandinaves sous sa forme appelée « hólmgang » est largement cité dans les sagas. C’est une source de premier ordre sur le combat de duel viking par sa précision pourtant, ce contexte a été peu exploité par la reconstitution jusqu’à maintenant.


Introduction

La provocation en duel dans les sagas est un thème récurrent où chacun doit tenter de montrer sa valeur. On peut relever 3 termes différents relatifs au duel : le « hólmgang », « l’einvigi » et le « kerganga ». Si l’Einvigi est souvent traduit par « combat singulier » et semble assez libre, le Hólmgang (traduit par « duel ») est très codifié. Nous laisserons de côté le kerganga, plus rare, mentionné dans la Floamanna saga par exemple où les deux combattants luttent avec des bâtons dans une vaste cuve.

Le mot Hólmgang est constitué de « hólm », l’îlot, et de « ganga », aller, se rendre. Le hólmgang est littéralement, « la marche vers l’île ».  Ce type de duel peut se rapprocher des « ordalies » de la fin du Moyen-Age dans son côté sacré. Mais il s’en démarque car il est plutôt question ici de vigueur et de courage de la part des hommes que d’un appel au jugement divin.

En étudiant le hólmgang, on découvre non seulement une source précieuse sur le combat de duel mais on jette aussi un éclairage sur les relations entre les hommes et leur rapport à la légalité.

Les sources textuelles, nombreuses sur le hólmgang, permettent de cerner le contexte ainsi que le déroulement de ce type de duel pour en proposer une reconstitution.


Contexte

Selon la saga d’Egill : « N’importe qui avait le droit de provoquer un autre en combat singulier, soit qu’il eut à se laver d’une accusation, soit qu’il voulut en formuler une. » Le Hólmgang ne découle donc pas forcément d’une décision judiciaire encadrée. Selon les lois islandaises (Gragas) en cas de désaccord entre les juges d’un procès, certaines règles peuvent s’appliquer sans faire mention du duel. F. Wagner recense seulement 2 cas où le duel était la conséquence directe d’un procès et les exemples abondent où il n’y a pas de rapport entre hólmgang et procès.

Le hólmgang reste cependant un acte légal strictement encadré. Ce système devait éviter les vengeances incessantes et meurtrières entre familles car il réglait le problème entre deux individus protégés par un espace sacré et devant l’ensemble des témoins. Le combat doit s’arrêter au premier sang : le perdant a ainsi pu prouver sa valeur sans y laisser la vie. Au contraire, l’Einvigi entraîne une cascade de vengeances et de représailles incontrôlables !

Selon les lois du duel aujourd’hui, un homme qui en défie un autre pour quoi que ce soit et qui gagne pourra remporter ce qui a été misé, mais s’il perd, alors il paiera le prix qui aura été déterminé avant. S’il est tué pendant le duel, il perdra toutes ses propriétés et le tueur en bénéficiera. (Saga d’Egill)

Les causes du hólmgang peuvent donc être très variées : se venger, régler un problème de succession, laver un affront, mais le plus souvent conquérir une femme (saga de Grimr à la joue velue, saga de Ketill le saumon, saga de Glumr le meurtrier, Saga de Kormak…).

L’enjeu, ici, parait clair : l’objet dont la possession est contestée. Si le provocateur perd, il doit alors payer le prix (défini à l’avance, 3 marcs d’argent par exemple dans la saga de Kormak et la saga des gens de Svarfdaela). S’il meurt, ses biens et propriétés reviennent à l’autre duelliste.

Nul homme ne pouvait se soustraire au duel sans se couvrir d’infamie (concept primordial pour les scandinaves, appelé nidh, autant moral que magique) :

« il est proclamé infâme aux yeux de tous, s’il ne se présente pas ! » déclare Kormak.

Il provoqua Ketill en duel à Árhaugr pour le premier jour de Jól – « et sois infâme devant chacun si tu ne viens pas. (Ketill le saumon)

Et s’il en est qui ne viennent pas (au duel), on leur érigera un bâton d’infamie avec la formule suivante :

qu’il soit infâme pour tous et ne se trouve en aucun cas dans la compagnie d’honnêtes gens, qu’il encoure la colère des dieux et qu’il porte le nom de violateur de trêve. (la saga des chefs du Val au Lac)

Certains toutefois pouvaient se faire remplacer :

Egil veut aller avec Fridgeir. Sa mère aimerait bien mais Egill dit : j’irai s’il le demande.

On trouve également plusieurs personnages qui sont des duellistes de profession comme Holmgangu-Bersi (saga de Kormak) ou d’autres : Hólmgangu-Hrafn, Hólmgangu-Ljótr, Hólmgangu-Mani, Hólmgangu-Skeggi, Hólmgangu-Starri.

Parfois des abus sont commis pour s’enrichir.

Thorolf défia Ulfar le champion pour sa terre, le provoquant en duel car Ulfar était vieux et  sans descendance. Ils combattirent leur duel à Alftafjord et Ulfar fut tué. (Eyrbyggja saga)


Le hólmgang

Le Hólmgang a lieu en champ clos. Les sagas citent nombre d’endroits qui servent de terrain au duel telle l’île Oxara dans la plaine du Parlement islandais, Thingvellir. Quand il n’y avait pas d’îlot, l’emplacement du duel était délimité pour servir de champ clos. La saga de Kormak est précise sur ce sujet :

Les règles du duel voulaient que la cape mesurât 5 aunes de côté, les coins étant noués ; on y passait des pieux munis d’une tête à une des deux extrémités, appelés fiches. Celui qui vaquait à cette tâche devait s’approcher des fiches en regardant à ses pieds et en se bouchant les oreilles pendant qu’il récitait la formule reprise ensuite lors du sacrifice des fiches (tjosnablot).  Trois sillons larges d’un pied devaient entourer la cape ; à l’extérieur de ces sillons devaient être tendus 4 cordeaux, faits de baguettes de coudrier, et le champ ainsi clos s’appelle « encoudré ». Si on pose un pied hors de l’encoudrage, cela  s’appelle rompre mais fuir si on pose les deux pieds.

Chaque combattant porte épée et bouclier. Chacun peut examiner l’arme adverse afin de s’assurer qu’elle ne possède pas quelque vertu surnaturelle où si elle respecte la loi : l’épée que tu as est plus longue que ne le veut la loi. Dit Thorkel à Bersi. (Saga de Kormak) Egil porte une épée à la main et une autre suspendue au bras. Gunnlaugr utilise également ce procédé. Aucun des combattants ne porte ni armure ni casque.

Les deux duellistes possèdent chacun 3 boucliers dont ils se servent successivement. Les duellistes sont assistés d’un porteur.

Hermundr tint le bouclier devant Gunnlaugr, son frère, et Sertingr Hafr-Bjarnarson devant Hrafn. (saga de Gunnlaugr langue de serpent)

Thorgils tint le bouclier pour son frère et Thord Arndisarson pour Bersi (saga de Kormak).

Cependant certains duellistes n’ont pas de porteur ou refusent qu’une personne prenne des risques pour eux :

Bödmódr tint le bouclier devant Ketill, mais personne devant Framarr. (Saga de Ketill le saumon)

Le jarl offrit de tenir le bouclier devant Thorsteinn mais celui-ci dit que personne ne devait se mettre en péril à cause de lui : « je vais moi-même porter mon bouclier ». (Saga des gens du Svarfadardalr)

S’il arrive que les trois boucliers sont détruits, le duelliste n’a plus qu’à se défendre avec son arme.

La personne provoquée avait le droit de porter le premier coup et chaque adversaire frappe à tour de rôle. Lorsque qu’un des adversaires est blessé et que le sang tache la cape, le combat est censé s’arrêter… ce qui n’est pas toujours le cas.

Kormak brandit alors le bouclier, Steinar frappant à cet instant ; son coup porta sur le bouclier de Bersi, ricocha sur la tranche, atteint son postérieur, glissa le long des cuisses pour s’enfoncer dans la saignée du genou et s’arrêter dans l’os, et Bersi tomba. Steinar déclara alors : « Maintenant est payée la dette de Kormak ». Bersi se redressa et atteint Steinar, fendant son bouclier, et la pointe de l’épée atteignit sa poitrine. Thord s’élança pour mettre Steinar hors d’atteinte.  (saga de Kormak)

Chaque duelliste est accompagné d’amis ou de parents, parfois nombreux, qui servent de témoins au duel.

L’animal du sacrifice (bœuf ou taureau appelé blotnaut) était abattu par le vainqueur ce qui renforce l’idée de la sacralité du Hólmgang.

Le duel entre Gunnlaugr et Hrafn fut le dernier qui eut lieu en Islande et le Parlement décida d’abolir le hólmgang en 1006 (6 ans après la conversion au christianisme). Il fut également interdit en 1012 en Norvège, les sociétés évoluant vers un système légal et judiciaire plus élaboré rendant cette pratique païenne désuète.


Reconstitution

Préparation du terrain :

Halfdan noue les coins de la cape autour des fiches.

Nous avons choisi de reconstituer une cape de 5 aunes de côté par un morceau de lin de 2,50 m de côté en prenant comme référence de mesure, l’aune islandaise médiévale valant 50 cm.

La préparation du terrain pose peu de questions hormis la formule récitée et le sacrifice des fiches dont on ne sait rien.

Les trois sillons sont tracés avec 30 cm d'écart
Les trois sillons sont tracés avec 30 cm d’écart
On plante les 4 courdriers qui tiennent le cordage, délimitant ainsi l’encoudré qui mesure au total un peu plus de 3 m de côté
On plante les 4 courdriers qui tiennent le cordage, délimitant ainsi l’encoudré qui
mesure au total un peu plus de 3 m de côté

La première chose qui frappe une fois l’espace délimité est son exiguïté notamment à 4 personnes !

Déroulement du duel :

« Porter le bouclier devant …» comme souvent écrit dans les sagas pourrait faire penser à un porteur de bouclier qui donne au duelliste ses boucliers supplémentaires quand celui qu’il utilise est détruit. Pourtant il semble que le porteur ait un rôle actif voir dangereux dans le duel, ce que nous avons choisi de reconstituer à l’image de la Saga des gens du Svarfadardalr :

Le jarl offrit de tenir le bouclier devant Thorsteinn mais celui-ci dit que personne ne devait se mettre en péril à cause de lui.

Le rôle de porteur est confié à un ami proche, une façon de renforcer les liens entre ces personnes.

Nous avons décidé que la règle de « rompre » ou « fuir » ne s’appliquait pas aux porteurs, les rendant plus mobiles contrairement aux duellistes, très proches et dont les mouvements sont très limités.

Les porteurs se sont finalement positionnés légèrement en avant des duellistes sur leur gauche pour ne pas les gêner dans leurs frappes.

Il est très fréquent dans les sagas de voir les boucliers détruits ou traversés par les coups d’épée.

Le duel commença et pris fin quand Thorstein trancha le bouclier et la jambe d’Eystein. ( Reykdaela saga)

Bersi frappa le premier et pourfendit le bouclier de Kormak qui rendit le coup avec le même effet. Chacun rendit inutilisable 3 boucliers adverses. (saga de Kormak)

Eyjolfr était obligé de frapper d’abord, et, au premier coup qu’il porta, l’épée frappa la pointe inférieure du bouclier et enleva et la pointe du bouclier et la jambe du berserkr. (saga de Glumr le meurtrier)

D’après notre expérimentation il est très difficile de détruire un bouclier notamment avec une épée. Un bouclier en planches collées recouvert de cuir lui aussi collé et cousu sur le bord le rend étonnamment résistant. Un bouclier uniquement constitué de planches collées est plus facile à détruire avec une épée. Ce doit donc être ce type de bouclier le plus utilisé. Pourtant, il ne semble pas que le bouclier de duel soit un bouclier particulier. L’archéologie nous a livré quelques exemples pour les deux types de construction : recouvert ou pas. Malheureusement, sur la grande majorité des pièces archéologiques, on ne sait pas s’il était recouvert ou même renforcés sur la tranche. Lire à ce sujet l’article détaillé de P. Beatson sur internet. (voir bibliographie)

En ce qui concerne l’épée, elle a effectivement tendance à rester plantée sur la tranche du bouclier comme cela est décrit dans la saga de Kormak :

Bersi décocha un coup à Steinar, mais Hviting (son épée) se ficha dans le rebord du bouclier de Steinar. Kormak brandit alors le bouclier, Steinar frappant à cet instant, son coup porta sur le bouclier de Bersi, ricocha sur la tranche, atteint son postérieur, glissa le long des cuisses pour s’enfoncer dans la saignée du genou et s’arrêter dans l’os, et Bersi tomba.

En frappant sur le plat du bouclier, il est plus long de briser sa structure.

Les porteurs sont très exposés et pourtant ils ne sont quasiment jamais blessés dans les sagas. La seule mention d’un porteur blessé se trouve dans la saga de Grimr à la joue velue :

Celui qui devait tenir le bouclier devant Sörkvir s’appelait Thröstr. Grímr asséna ce premier coup si fortement qu’il fendit le bouclier d’un bout à l’autre, la pointe de l’épée atteignit l’épaule gauche de Thröstr et trancha l’homme par le travers, le mettant pièces au –dessus de la hanche droite et au-dessous de la gauche, et l’épée poursuivit son chemin sur la cuisse de Sörkvir, lui enlevant les deux jambes, l’une au-dessus du genou, l’autre en dessous, et il tomba, mort, à terre.

Notre hypothèse est que la cible du duelliste n’est pas le porteur. Il n’y a donc pas d’intérêt à le tuer et la stratégie qui semble la plus payante est de détruire le plus vite possible les boucliers adverses (sans rester coincé dedans !) car, sans bouclier, le duelliste reste seul et doit se défendre avec son épée uniquement.

L’expérimentation montre un combat où la mobilité est inexistante comme le dit Moldi dans la Saga des gens du Svarfadardalr :

Chacun doit rester sur son manteau et ne pas reculer de la largeur d’un doigt, celui qui recule sera traité d’infâme, mais celui qui avance sera déclaré vaillant homme.

Par contre, une bonne coordination entre le porteur et le combattant est indispensable pour gagner ce genre de duel car les combattants ont tendance à tourner les uns autour des autres donc il ne faut pas se désunir.

De même, les feintes restent limitées, sauf dans le cas d’un duel sans porteur où les feintes classiques sont utilisées à l’image de Ketill :

Puis Ketill fit un moulinet de son épée en visant la tête, et Áli brandit son bouclier. Mais alors Ketill asséna un coup sur les pieds et les trancha tous les deux, et Áli tomba là.

Les blessures les plus courantes sont aux jambes, très exposées :

Gisli frappa avec sa « hallebarde »  qui trancha la partie inférieure du bouclier de Skeggi et lui coupa la jambe. (Gísla saga Súrssonar)

Thorgils coupa la partie basse du bouclier de Surt et lui sectionna une jambe (Floamanna saga)

Ou la saga de Kormak ou de Ketill dont les passages ont déjà été cités.

Les mains ou les bras sont également touchés.

Bui frappa Kolfinn, rendant inutilisable son bouclier et le blessant gravement au bras. (Kjalnesinga saga)


Conclusion :

Le déroulement du duel, grâce aux textes, est assez clair, pourtant il a probablement du varier d’une région à une autre, ou au cours du temps. Les deux combattants se mettent toujours d’accord sur les règles avant de combattre.

Le hólmgang est donc un duel légal très codifié. Son aspect rituel le rend d’autant plus solennel et le recours au duel est donc une décision importante prise pour les affaires les plus graves. Le recours aux artifices magiques est souvent associé au hólmgang dans les sagas : pierre magique, épées magiques, protections magiques…

Le hólmgang limite les enchaînements de vengeances entre « clans » même si rien n’empêche parfois les enchaînements de duels !

Tout cela montre un aspect des rapports entre les hommes à la période viking. Il faut ici montrer sa valeur et sa force devant les autres (témoins) plus qu’être bon escrimeur (champ restreint et impossibilité de reculer). La conclusion du duel est rarement contestée, l’honneur de chaque combattant reste sauf. La société scandinave, consciente des abus pouvant être commis par duels, va évoluer dans ses pratiques judiciaires pour rendre le hólmgang illégal :

On trouvait fort malséant dans le pays que des brigands ou des berserkirs provoquent les nobles gens en duel pour avoir leurs biens ou leurs femmes, les occis, de part et d’autre, restant sans compensation. beaucoup en recevaient honte et perte de biens, certains y perdaient la vie. Aussi le jarl Eirikr avait-il interdit tout duel en Norvège. Il proscrivait aussi tout pillard et berserkr qui troublait la paix. (saga de Grettir, ch. 19).

La reconstitution pose deux problèmes. Tout d’abord, le rôle précis des porteurs de boucliers : leur place, leurs actions et interactions avec les autres…

Enfin, la question de la destruction quasi systématique de boucliers lors des duels. Peut-être un effet dramatique littéraire mais peut-être également une information sur la résistance réelle des boucliers au combat et donc sur leur construction. Une étude approfondie sur ce sujet manque encore : étude fine des pièces archéologiques, tests de résistances suivant un protocole scientifique…


Sagas :

  • La saga de Kormak
  • Ketill le saumon
  • Grimr à la joue velue
  • Gunnlaugr langue de serpent
  • Glumr le meurtrier
  • Saga des gens du Svarfadardalr
  • Saga des chefs du Val au lac
  • Saga d’Egill
  • Finnboga saga
  • Gísla saga Súrssonar
  • Ljósvetninga saga

Bibliographie

Crédit photo : errance-photographie

2 pensées sur “Le Hólmgang

  • 8 mai 2015 à 18 h 48 min
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    merci de ce bon exposé sur la ritualisation du combat.
    il serait bon de voir cela pratiqué un peu plus sur préstations !!

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  • 12 août 2015 à 17 h 26 min
    Permalink

    Ca fait 2 ans qu’on répète ce duel et on arrive à un truc sympa ! On pourra le faire lors de nos prochaines sorties !! 😉 C’est plutôt orienté « spectacle » que « AMHE » mais le public réagit bien !

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